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Pr Viviane Ondoua Biwole : l’augmentation des prix à la pompe est une mesure opportune mais, elle va accroître le niveau d’inflation qui lui-même est déjà situé à 7.7%

by EDC
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Pour l’experte en questions de gouvernance, il ne serait pas étonnant que d’autres secteurs soient concernés à l’avenir par l’arrêt des subventions de l’Etat.

Il est évident que l’annonce de la hausse du prix du carburant est un choc pour les ménages et les entreprises camerounaises. Plus qu’un choc il s’agit d’une mauvaise nouvelle dont les impacts vont dégrader le pouvoir d’achat déjà suffisamment entamé par l’inflation en cours. En pareille circonstance, les débats sont très passionnés entre ceux qui sont « pour » et « contre » la mesure. Cette ambiance ne doit pas nous ôter l’exigence d’une analyse de cette décision, de son opportunité et des conditions de sa réussite.

L’objectif de ma prise de parole est d’engager une conversation autour de l’opportunité de la hausse du carburant. Opportunité au regard de la conjoncture actuelle et des perspectives de long terme. Parlant de la conjoncture, il n’échappe à personne que l’État fait face à de sérieuses contraintes financières et la rationalisation de ses charges constitue un levier non négligeable. De même, du fait de cette conjoncture et de son déploiement engagé depuis les années 2000 à la suite de la grande crise économique qui aura duré 20 ans (1980-2000), il apparaît que l’État s’est promis de réduire son intervention directe à travers les subventions pour encourager la production grâce aux infrastructures énergétiques, minières et routières. Il est alors clair que l’État vise à changer de paradigme d’intervention en réduisant les subventions dans divers secteurs : secteur des entités publiques avec les lois de 2017 et progressivement la réduction de la subvention des prix du carburant, entre autres. Il ne serait pas étonnant que d’autres secteurs soient concernés à l’avenir.

Il me semble alors indispensable d’apprécier l’opportunité de la baisse des subventions du carburant (I), d’insister davantage sur les conditions de viabilité de cette décision (II) et les risques de pressions sociales et politiques (III).

  1. L’opportunité de l’augmentation du prix du carburant

Vous aurez compris mon parti pris : il n’est pas question de chercher à savoir comment en est-on arrivé là[1]mais en quoi cette décision peut aider à sortir de l’impasse actuelle caractérisée par la rareté des ressources et un fort endettement de l’État. Dans ce contexte, la décision des autorités camerounaises de réduire la subvention des produits pétroliers et par conséquent de hausser les prix à la pompe s’est prise dans un contexte économique peu favorable malgré la résilience de l’économie Camerounaise.

En effet, depuis plusieurs années le Cameroun est confronté à des déséquilibres macroéconomiques importants. Pour illustration, les statistiques du Fonds Monétaire International (FMI) et confirmées par l’Institut National de la Statistique (INS) révèlent que le niveau d’inflation au Cameroun est de 7.7%[2] en 2023. Ce niveau d’inflation est parmi les plus élevé à l’échelle mondiale. En outre, le niveau de la dette publique oscille autour de 42% du PIB bien que ce niveau soit en baisse comparé à 2022 (45%) ; il demeure élevé. Enfin le déficit global se situe autour de 0.7 % et le déficit primaire hors pétrole à 2.5%. Si on peut reconnaitre que ces indicateurs sont en baisse, résultante des réformes entreprises par les autorités publiques, il convient cependant d’admettre que le budget subi des pressions exercées par diverses subventions dont celles aux carburants. En 2022 par exemple, le montant de la subvention s’élevait à plus de 900 milliards de FCFA[3].

Cependant, l’impératif du développement auquel s’est assigné le gouvernement à travers SND30 nécessite une création importante de la richesse et des ressources disponibles à court terme. Car, les 4% de croissance enregistrés par le Cameroun en 2023, et les réformes sur l’élargissement de l’assiette fiscale ne suffiraient pas à elles seules pour atteindre les objectifs de la SND 30. Par ailleurs, le poids des subventions, ne faciliteraient pas la volonté des autorités de combler le déficit infrastructurel observé.

L’objectif visé par la baisse de la subvention est donc la création d’un espace budgétaire. Cet espace budgétaire, est censé permettre aux autorités de disposer des ressources propres. Ainsi, la présente réforme vise une mobilisation de ressources d’environ 200 milliards de FCFA en brut. Cette ressource mobilisée est susceptible, de faire l’objet de réallocation vers les budgets d’investissement, permettant ainsi, le développement, la modernisation ou l’achèvement des projets structurants. À la suite du resserrement des politiques monétaires à l’échelle mondiale, la mobilisation d’une telle ressource aurait engendré des coûts liés aux services de la dette.

Toutefois, bien qu’opportune, les effets négatifs d’une telle mesure sont immédiats. Pour illustration, cette hausse des prix à la pompe est de nature à accroître le niveau d’inflation qui lui-même est déjà situé à 7.7%. Car, on assistera inévitablement à une augmentation des coûts liés aux transports qui vont se répercuter sur les prix des denrées alimentaires. Par conséquent, une dégradation progressive du pouvoir d’achat sera observée. Aussi, bien que, cette inflation ne sera pas d’ordre monétaire, la banque centrale, pourrait être appelée, au meilleur des cas, au maintien du taux directeur, ou au pire des cas, à la hausse de ce dernier afin de faire baisser les tensions inflationnistes. Une telle mesure pourrait contribuer à rationner le crédit. Au regard du poids de l’économie Camerounaise dans la CEMAC, cette inflation générée pourrait être contagieuse à l’échelle régionale. 

Ces effets néfastes de la hausse des prix à la pompe, suffisent-elles à compromettre l’efficacité d’une telle réforme ? Nous souhaitons qu’il n’en soit pas le cas. D’où l’intérêt de convoquer les conditions de la viabilité de cette mesure.

  1. Conditions de viabilité de la hausse du carburant : gouvernance et lutte contre la pauvreté

Deux conditions apparaissent comme des leviers indispensables à la décision analysée ici : la nécessité d’une meilleure gouvernance et de la lutte contre la corruption.

En ce qui concerne la gouvernance, trois conditions importantes semblent s’imposer si nous voulons tirer avantage de la hausse du carburant.

D’abord, il convient d’indiquer clairement à quoi vont servir les ressources qui seront mobilisées grâce à cette décision. Il est vrai que certaines mesures de mitigation sont annoncées et vont nécessiter une petite partie des ressources dégagées ; la plus grande part devra donc être clairement orientées vers les infrastructures attendues. Il s’agit alors de veiller à ce que les projets concernés s’exécutent convenablement ; ce qui n’est pas totalement assuré quand on sait quelles sont les griefs régulièrement relevés : lenteur dans l’exécution des travaux entrainant le renchérissement du matériel, l’incompétence dans la mise en œuvre de certains projets complexes, la faiblesse du contrôle et un laxisme inadapté aux exigences de cette nature.

Ensuite, il faut réduire considérablement le train de vie de l’État. C’est une problématique engagée depuis plus de 20 ans et dont l’impact reste attendu. Il n’est plus possible de s’y dérober. Certains pensent d’ailleurs à juste titre qu’avec la réduction du train de vie de l’État on peut dégager des marges permettant de continuer de subventionner le carburant et d’investir dans les infrastructures. La proposition formulée ici est de mener courageusement un audit systématique, stratégique, opérationnel et technique de l’administration publique pour réduire les dépenses inutiles. Prenons quelques exemples : le MINDDEVEL nouvellement créée dispose de 8 directions, est-ce vraiment nécessaire, quand on sait qu’un vieux ministère dont l’étendu de la compétence est important comme le MINAT n’a que 5 directions ? De même, le ministère en charge des Marchés publics a hérité d’un nouvel organigramme depuis le dernier remaniement ministériel, ses missions ont été recentrées autour de la programmation et du contrôle mais continue à fonctionner avec l’ancien organigramme et les directions dont la pertinence n’est plus avérée.

On pourrait dans cette perspective questionner la taille du gouvernement et la tendance à créer des entreprises publiques ou agences dont les coûts de fonctionnement et le mode de gestion ne garantissent pas toujours l’efficience. On pourrait également questionner l’existence des structures déconcentrées régionales de certaines agences de régulation (comme l’ART). Je fais fi des dépenses inefficientes de matériel (véhicules, carburant, comités, missions). C’est aussi l’occasion de revoir à la baisse les allocations des chapitres communs (lignes 94, 65, entre autres qui représentent 10% du budget et qui pourraient être réduits à 5% voire 3%).

Enfin, l’urgence de mener convenablement les politiques publiques pour que l’effet de l’augmentation du carburant et les ressources conséquentes dégagées puissent impacter positivement. A ce niveau, rien n’est vraiment garanti. Prenons l’exemple des réformes du secteur des entités publiques qui, malgré les ressources (subventions) mobilisées et le cadre juridique amélioré, les contreperformances des entreprises restent chroniques avec des risques budgétaires régulièrement rappelés. De même, les projets structurants ne s’exécutent pas toujours dans les délais et dans les conditions de qualité requises. Il est alors évident que le Cameroun a mal à sa gouvernance opérationnelle. Surtout, le management du capital humain reste un point de vigilance indéniable.

Par ailleurs, il conviendra d’insister sur les exigences de transparence et de reddition des comptes comme gages de réussite de cette mesure. C’est à ces prix que les autorités camerounaises pourraient s’arracher la confiance du peuple dont l’adhésion est une condition de succès.

En ce qui concerne la lutte contre la corruption, les cas récents de Glencore, la gestion des fonds COVID-19 et de la CAN en plus des dénonciations contenues dans le rapport de la CONAC ne sont pas de nature à rassurer quant à la gestion des fonds générés par cette mesure. Ces craintes sont accentuées par des risques de pressions sociales et politiques.

  1. Risques de pressions sociales et politiques

Les pressions sociales et politiques sont inévitables.

Pour la pression sociale, il est évident que la hausse du prix du carburant entrainera des effets pervers à court terme. Elle occasionnera une hausse de l’inflation et une flambée des prix de transport, des denrées alimentaires entrainant une baisse du pouvoir d’achat des ménages. Pour les entreprises, il faut également craindre des conséquences négatives non négligeables. Il va donc s’en suivre une pression sociale inévitable et des fragilités auprès des ménages pauvres et modestes. C’est un contexte dont la gestion exigera une veille permanente sur le terrain pour parer au moins aux situations urgentes de diverses natures. Les maries seront alors sollicitées pour jouer un rôle important du fait de leur proximité locale. En même temps une communication régulière quand aux réalisations et aux espérances réelles devra servir de levier pour accompagner cette période difficile. On peut déjà imaginer des concertations avec les différentes parties prenantes locales et diverses corporations pour identifier les mesures de mitigation et d’apaisement indispensables.

Concernant la pression politique, elle est bien réelle car la mesure intervient la veille de l’année électorale avec le risque de détournement des ressources économisées vers les activités électorales sans incidences économiques réelles. Les recrutements exceptionnels ou les avantages sociaux de diverses natures attribués aux communautés pourraient s’avérer économiquement improductives. De même, pour apaiser les revendications à cette période électorale, les autorités seraient tentées d’affecter les ressources générées par la mesure de la baisse des subventions à la résolution des problèmes sociaux à l’exemple de la grogne des enseignants au détriment du financement des infrastructures. Il faut donc craindre que les bonnes intentions nourries par la hausse du carburant ne puissent pas résister à la tentation électoraliste et à la satisfaction des besoins sociaux pas directement liés aux préoccupations purement économiques.

Plus globalement, dans ce contexte, la hausse du carburant aura des effets positifs à long terme si et seulement si la discipline qu’exige ce type de décision est bien respectée. Ainsi, bien plus que par le passé, on aura besoin d’un leadership politique plus affirmé et d’une rigueur managériale à la hauteur des enjeux. Ce qui nécessite de revoir fondamentalement le mode de gouvernance, d’attribution des responsabilités et le choix des investissements. Deux points de vigilance sont de mise : limiter l’endettement et investir dans les projets structurants (infrastructures énergétiques et routières).

Pour conclure sur mon propos, le choix de l’augmentation des prix du carburant est opportun au regard des conditions actuelles où le Gouvernement est dans une impasse. Toutefois, cette opportunité ne sera viable que si les conditions rappelées supra sont remplies et si les risques de pressions sociales et politiques sont bien contenus. C’est le minimum exigible, malheureusement, par le passé, les rapports récents publiés sur la gestion des fonds face aux crises révèlent que l’efficience n’a pas toujours été assurée ; ce qui est de nature à atténuer l’enthousiasme de l’opportunité clamée. 

Source : www.vivianeondouabiwole.com

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