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Olivier DJABA : « le tribunal a reconnu le caractère irrégulier et abusif de mon licenciement »

by EDC
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Le 25/06/2014, une grève éclatait dans la filiale d’une banque internationale basée au Cameroun, pendant pratiquement trois jours. Le personnel se plaignait de la généralisation des pratiques de harcèlement moral comme mode de gestion, à travers le licenciement d’un de leurs. Nous avons pu retrouver la personne licenciée à l’époque et après plusieurs tentatives infructueuses depuis plus de deux années, il a accepté de rompre le silence pour la sensibilisation contre la violence en milieu professionnel. Il s’agit de M. Olivier DJABA, bien connu dans l’écosystème d’appui aux PME comme Expert des questions financières qui dévoile un pan de sa vie professionnelle.

A la veille du sixième anniversaire de la grève qui avait éclaté chez votre employeur qui venait de vous licencier. Comment avez vécu cet évènement de solidarité vis-à-vis de vous ?

Avant de vous répondre à votre question, je tiens d’abord à exprimer ma profonde reconnaissance au personnel qui dans son ensemble, quelques soient les générations, avait exprimé spontanément leur solidarité vis-à-vis de ma modeste personne après mon licenciement brutal et injuste que je venais de subir. J’ai suivi cet évènement de mon domicile et il y avait la presse qui le relayait régulièrement. De temps en temps, je recevais les appels de mes collègues. Je dois reconnaitre que cet évènement a impacté d’autres entreprises car beaucoup de DRH (Directeurs de ressources humaines) que je connaissais, m’ont fait part de leur ressenti dans leurs structures respectives.

Quelles sont les circonstances qui ont entouré votre licenciement ?

Les circonstances que je vais décrire, n’ont rien de confidentielles, étant donné qu’elles ont été évoquées dans le cadre des audiences publiques des différentes procédures.

Avant la notification de mon licenciement, j’ai été victime de plusieurs agissements de harcèlement moral et même de violence physique sur une période de 12 mois. Il s’agissait de : multiplication des demandes d’explication sur le même objet, double sanction complaisante et forclose selon les procédures internes, mise à disposition à la Direction des Ressources humaines pendant plusieurs semaines alors que cette situation n’était pas conforme selon les procédures, mutation dans un département était considéré comme un placard , multiplication des procédés vexatoires (usage des moyens déloyaux) pour bloquer l’exécution de mes tâches, multiplication des convocations au Conseil de discipline et même la veille  après un retour récent de l’arrêt-maladie alors qu’un délai de 07 jours devrait être observé. La liste est longue et vous trouverez d’autres détails dans mon livre dont la parution est très imminente.  Pendant cette période, mon surnom à la banque était « le plus jeune sénateur ».

Le 16 Juin 2014, j’ai été notifié de mon licenciement dans le bureau du DRH en présence d’un huissier de justice. Puis, le calvaire se poursuivait avec l’obstruction agressive à la récupération de mes effets personnels, devant mes collègues médusés, par mes deux supérieurs hiérarchiques directs, cadres de la maison-mère en détachement auprès de la filiale dont l’un au moment des agissements cités plus haut semblait n’avoir pas encore de contrat de travail visé par l’administration concernée selon le code de travail. Une violence physique similaire avait déjà eu lieu lors de la remise de la première demande d’explication le 25 Avril 2014, point de départ du rouleau compresseur. Avant ce licenciement, les délégués du personnel s’étaient opposés à la tenue du Conseil de discipline pour ne pas se porter complice des pratiques de harcèlement moral. Je dois vous dire que la maison-mère qui se trouve dans un pays où le harcèlement moral constitue un délit pénal, a souscrit aux conventions internationales avec des procédures censées être strictes. Le procès verbal du conseil de discipline capté par les délégués du personnel mentionne que je n’ai commis aucune faute professionnelle. Pourtant, je suis licencié sous le motif fallacieux de perte de confiance, alors que je ne fais l’objet d’aucune mission d’audit ou de contrôle m’incriminant d’une faute professionnelle. Avant la tenue du conseil de discipline et suivant les copies des emails obtenus, le DG de l’époque avait donné des recommandations aux membres dudit conseil de voter pour mon licenciement.  De plus, j’avais fait des requêtes à l’inspection de travail qui sont restées lettres mortes. Si l’inspection de travail avait réagi un peu, cet incident n’aurait peut-être pas eu lieu.  Une requête similaire avait été adressée au département RH de la direction Afrique, peu avant mon licenciement.

Je dois vous dire que je ne souhaite à personne de subir ce chapelet de violence constitué de harcèlement moral et de violence physique, même pas aux instigateurs ou à ceux qui se sont rendus complices de ce licenciement brutal. Je vous épargne des détails de l’impact sur la santé. A cet effet, j’exprime ma profonde reconnaissance à mes proches et principalement à mon épouse.

Vous avez mentionné plusieurs fois le terme de harcèlement moral. De quoi s’agit-il ?

Selon la nouvelle convention OIT C190 sur la violence et le harcèlement dans le monde de travail,  première norme internationale qui vise à mettre un terme à la violence et au harcèlement dans le monde du travail ,  l’expression «violence et harcèlement» dans le monde du travail s’entend d’un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre.

En France, selon le code du travail, le harcèlement moral est défini comme tout agissement répété entraînant une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel tandis que le code pénal stipule le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.

Pour nos pays qui n’avaient encore de législation en la matière, La Convention C190 adoptée le 21 juin 2019 lors de la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail, réunie en sa 108e session (session du centenaire), comblera les lacunes existantes dans la législation nationale. Elle entrainera des obligations aux acteurs du monde du travail des actions de prévention et traitement des cas avérés de violence et de harcèlement. Ainsi, la bienveillance devra être au cœur des pratiques de management dans nos entreprises.

Où en êtes-vous avec le litige ?

Avant même mon licenciement, ma position a toujours été de conclure ce litige par une solution amiable. C’est pourquoi, j’ai multiplié en vain une masse de démarches jusqu’au plus haut niveau de la maison-mère et même auprès de l’administrateur représentant l’Etat qui en est aussi actionnaire, compte tenu de la gravité des faits. Ce qui constitue une prime aux personnes fautives en termes d’impunité.

Il y a eu deux procédures. Sur le plan de la procédure sociale, le tribunal a reconnu le caractère irrégulier et abusif de mon licenciement et enjoint la remise du certificat de travail. Sur le plan de la procédure pénale, elle suit son cours avec le rejet successif des exceptions soulevées par la partie adverse.  Malheureusement comme cela s’observe ailleurs, certains collaborateurs zélés s’opposent à une solution amiable mais ils oublient que la roue tourne.

Malgré l’existence de ces procédures et la trentaine de possibilités de recours, je reste disposé à explorer toutes les voies pour une solution concertée, plus adaptée au contexte du secteur d’activité portée vers la discrétion. Ce qui n’est pas possible avec les audiences publiques car ne dit-on pas que « l’argent n’aime les bruit » !C’est ce qui fait que je résiste mais jusqu’à quand, à la maturité des procédures sur le plan international du fait des engagements internationaux de la maison-mère, bien que je bénéficie de l’accompagnement des acteurs habilités que je remercie beaucoup.

Quels ont vos projets ?

Le fait d’avoir été victime d’une façon affreuse de la violence morale et physique m’oblige à une responsabilité sociétale. Donc, les projets vont tourner principalement autour de cette responsabilité. Il y a : la participation à la campagne de ratification de la convention C190 en Afrique, le plaidoyer pour l’incorporation d’un système d’évaluation annuelle des inspecteurs de travail qui prend en compte le taux de conclusion de procès verbaux de conciliation partielle ou totale sur les dossiers traités en  conciliation avec un bonus-malus en fonction des grèves avortées ou non pour plus d’efficacité, le plaidoyer pour la pénalisation des agissements de harcèlement moral dans le code du travail ou le code pénal,  la mise en place d’une plateforme sur le traçage de l’ancienneté des procédures liées au licenciement (plus de 4 ans) avec la publication d’un baromètre annuel des employeurs spécialisés dans les manœuvres dilatoires, la promotion du concept de la bienveillance dans les pratiques de management des entreprises, le développement du marché du tiers-financement dans le milieu judiciaire qui est un nouveau filon d’investissement.

Je suis ouvert à accompagner les entreprises dans leur politique de prévention du harcèlement et même l’Etat dans la transposition des dispositions de la convention C190 dans la législation nationale. En tant qu’ancienne victime, je serai plus présent dans les médias pour la sensibilisation. Je reste ouvert à des propositions relatives aux thèmes développés plus haut pour une approche collective.  Comme je l’ai dit plus haut, je vous annonce la parution imminente de mon livre qui reviendra sur ce souvenir douloureux.

En attendant, je reste dans l’attente du certificat de travail dont je perçois l’absence comme le prolongement du harcèlement post-licenciement en vue de compromettre mon avenir professionnel. Je comprends mieux pourquoi les travailleurs licenciés sont couverts par la convention OIT C190 sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail.

Propos recueillis par

A.B.O

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