Le Directeur général des impôts jette un faisceau de lumière sur les 19 mesures d’assouplissement prises par le Chef de L’Etat le 30 avril 2020 en vue de permettre aux entreprises camerounaises à faire face au Covid-19.
Monsieur le directeur général, le chef de l’Etat vient de rendre publiques 19 mesures d’assouplissement des mesures de restrictions édictées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Une dizaine d’entre elles sont d’ordre fiscal. Votre administration a sans doute été associée à l’élaboration de ces mesures, quels sont les préalables qui ont conduit à leur validation ?
Les mesures fiscales figurent effectivement en bonne place dans le dispositif de soutien aux entreprises et aux ménages, décidé par le Président de la République, Son Excellence Paul BIYA, et rendu public par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement. Ces mesures fiscales sont l’aboutissement d’un processus qui a consisté pour les autorités, dans le cadre d’une démarche participative, à bien apprécier l’impact de la crise sur les entreprises, ensuite à recenser les solutions envisageables, à les examiner, les évaluer et enfin à opérer des choix.
Dès le déclenchement de la crise en effet, sous la houlette du Ministre des finances, l’administration fiscale a engagé des concertations avec l’ensemble du secteur privé à travers les groupements socioprofessionnels (GICAM, ECAM, MECAM, CCIMA, APECCAM, Filière bois, ASAC, CAFCAM, AMCHAM, SYNDUSTRICAM, Hôtellerie, Cimenterie, Association des BayamSelam, Plateforme des syndicats des transporteurs, etc.). Signe des temps, la plupart de ces concertations se sont effectuées par visioconférence pour des raisons évidentes. Il s’agissait pour l’essentiel de recueillir auprès des principaux acteurs de l’économie, l’appréciation qu’ils font de la crise, de son impact sur leurs activités, et leurs propositions de mesures de soutien attendues des autorités.
En marge de ce dialogue avec le secteur privé, l’administration fiscale a, grâce toujours au dispositif de visioconférence, participé activement à de nombreuses initiatives d’échange et de mutualisation des meilleures pratiques fiscales de riposte face au Covid lancées par les partenaires internationaux tels que l’OCDE, le FMI, l’AfricanTaxAdministration Forum (ATAF) et le Cercle de Réflexion et d’Échange des Dirigeants Administrations Fiscales (CREDAF).
Au terme de toutes ces consultations, les premières constations faites ont montré que les entreprises camerounaises étaient affectées, à des degrés divers, par la crise du fait notamment du ralentissement de l’activité économique au niveau international et national, et de la mise en œuvre de la première série des mesures de riposte. Les concertations ont permis à cet égard d’identifier les secteurs les plus touchés par la crise, notamment l’hôtellerie, le transport, les entreprises dont les activités sont tournées vers l’extérieur ; mais également ceux qui le sont moins ou très peu. L’ensemble des propositions recensées ont ensuite été examinées et soumises aux autorités en fonction des différents scénarii de la crise.
Pour décrypter de manière spécifique ces mesures, comment comprendre celle qui porte sur la suspension au titre du 2ème trimestre 2020 des vérifications générales de comptabilité, sauf en cas de comportement fiscal suspect. A quoi cela renvoie-t-il ?
Dans un système fiscal déclaratif comme le nôtre, c’est le contribuable qui déclare librement les activités qu’il a réalisées au titre d’une période ainsi que le montant de l’impôt correspondant à payer. Afin d’éviter que cette liberté ne donne lieu à des abus, des contrôles fiscaux sont régulièrement menés et aboutissent souvent à des corrections des déclarations précédemment souscrites ; ce qui permet de rétablir l’égalité de tous devant l’impôt.
Au regard de l’impact de la crise sur la trésorerie des entreprises, les autorités ont voulu dispenser ces dernières des vérifications de comptabilité qui, par leur nature, sont susceptibles de donner lieu à des paiements immédiats d’impôts supplémentaires. Ces vérifications de comptabilité étant des contrôles sur place au sein des entreprises, l’exigence de respect des règles de distanciation a conforté également les autorités dans la prise de cette mesure.
Il y a toutefois lieu de relever que cette suspension ne s’applique pas en cas de comportement fiscal suspect ; c’est-à-dire lorsque pèsent sur une entreprise de forts soupçons de fraude ou de minoration de ses déclarations. Ce garde-fou permet en effet de limiter les abus et les effets d’aubaine qui, non seulement priveraient l’Etat de ressources, mais favoriseraient aussi des distorsions entre les contribuables citoyennes et celles qui ne le sont pas.
On parle du report du délai de dépôt des déclarations statistiques et fiscales sans pénalités en cas d’acquittement du solde correspondant. Quelle était la date initialement prévue et qu’est-ce qui sera fait au cas où le paiement a déjà été effectué ?
Le délai de dépôt des déclarations statistiques et fiscales (DSF) est fixé au 15 mars de chaque année. Prenant en compte les difficultés que les entreprises ont pu rencontrer à souscrire cette déclaration dans ce délai, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, les autorités ont bien voulu leur accorder une prorogation de délai pour leur permettre de se conformer à cette obligation fiscale sans encourir de pénalités.
Certes à date, certaines entreprises s’étaient déjà vu appliquer des pénalités de retard pour dépôt tardif de leur DSF. Toutefois, avec la mesure de dispense des pénalités qui vient d’être accordée, celles des entreprises à qui des pénalités ont été appliquées verront celles-ci purement et simplement annulées, et pour celles qui les ont déjà acquittées, elles bénéficieront d’un crédit d’impôt à due concurrence, reportable sur leurs paiements futurs. Je précise d’ailleurs que c’est cette approche qui va s’appliquer à tous ceux qui avaient déjà acquitté au titre du deuxième trimestre des impôts et taxes qui ont fait l’objet de mesures d’assouplissement par les autorités.
Monsieur le Directeur Général, le président de la République a décidé de soutenir les entreprises à travers l’allocation d’une enveloppe spéciale de 25 milliards de FCFA, pour l’apurement des crédits de TVA en attente de remboursement. Est-ce suffisant pour apurer cette dette de l’Etat ?
Il me semble important de préciser d’emblée que les autorités ont beaucoup œuvré à l’amélioration ces dernières années de notre système de remboursement de crédits de TVA. A ce titre, on peut évoquer le mécanisme de compte séquestre mis en place qui permet d’allouer de façon automatique chaque mois 6 milliards de FCFA aux opérations de remboursement des crédits de TVA ; le traitement des demandes suivant une approche axée sur les risques, rendant possible le remboursement spontané et sans contrôle préalable aux entreprises ne présentant pas de risque, les contrôles se faisant a posteriori ; et surtout la dématérialisation de toute la procédure de demande de remboursement des crédits de TVA déjà implémentée au niveau de la Direction des Grandes Entreprises.
La seule difficulté qui subsistait jusque-là était celle liée au stock de crédits accumulé avant les réformes que je viens d’évoquer ; stock évalué à date à environ 25 milliards. D’où l’allocation de cette enveloppe spéciale d’égal montant qui permettra de résorber totalement ce stock en attente de remboursement.
Je dois également préciser, pour que ce soit suffisamment clair, que cette enveloppe spéciale vient s’ajouter à celle initialement provisionnée de 72 milliards dans le budget de l’Etat au titre de l’exercice 2020.
Plusieurs exonérations de paiement de taxe sont annoncées : taxe foncière, taxe de séjour dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration pour le reste de l’exercice 2020, à compter du mois de mars ; l’exonération de l’impôt libératoire et de la taxe de stationnement pour les taxis et motos taxis, la taxe à l’essieu au titre du 2ème trimestre. Quelles étaient les prévisions de recettes à ces différents postes de recettes ?
Permettez-moi de préciser que s’agissant de la taxe foncière, il ne s’agit pas d’exonération, mais plutôt d’un report au 30 septembre de la date d’exigibilité de cette taxe normalement fixée au 30 juin. Cette mesure vise les ménages qui en sont les principaux redevables.
Quant à la taxe à l’essieu, l’impôt libératoire et les autres taxes communales, il s’agit effectivement d’une exonération circonscrite au 2ème trimestre.
En outre, le Chef de l’Etat avait déjà bien avant la publication des mesures du 30 avril 2020, acté l’exonération de la TVA et des droits de douane sur les matériels et équipements directement destinés à la lutte contre le Covid 19. Il faut savoir que les mesures de suspension des contrôles fiscaux et de recouvrement forcé ont également un coût.
Globalement, pour le moment l’ensemble des mesures fiscales de soutien décidées par les autorités est estimé à 114 milliards FCFA, soit 92 milliards au titre des recettes internes et 22 milliards au titre des recettes douanières. Ce coût fiscal, comme vous pouvez le deviner, ne représente qu’une portion du coût global engagé par les autorités dans le cadre de la riposte contre la grave pandémie du Covid 19.
L’exonération, au titre du 2e trimestre, de l’impôt libératoire et des taxes communales (droit de place sur les marchés, etc.) au profit des petits revendeurs de vivres (bayam-sellam) est aussi entérinée. Les collectivités territoriales décentralisées ont déjà été sensibilisées ?
Comme vous l’avez bien perçu, ces mesures concernent directement les collectivités territoriales décentralisées qui sont les bénéficiaires du produit de ces prélèvements.
Dans le souci d’une application efficace de ces mesures sur le terrain, des concertations se tiennent avec tous les acteurs impliqués pour leur mise en œuvre harmonieuse.
Dans tous les cas, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, veille personnellement à ce que l’ensemble des mesures de soutien aux contribuables décidées par le Chef de l’Etat soient scrupuleusement respectées. Nous travaillons dans ce sens sous l’encadrement du Ministre des Finances et de son homologue en charge des collectivités territoriales décentralisées.
Des compensations sont-elles prévues pour ces collectivités territoriales décentralisées ?
Dans le cadre des nécessaires ajustements budgétaires à venir pour tenir compte de l’impact du Covid 19 sur les finances publiques de l’Etat et des CTD, les autorités feront, comme à l’accoutumée, les arbitrages nécessaires pour que les CTD puissent absorber ce choc externe.
8. De nouvelles mesures sont-elles envisageables notamment pour un meilleur appui aux Petites et moyennes entreprises ?
Il me semble important de souligner d’emblée qu’à la lecture des 19 mesures décidées par le Chef de l’Etat, aucune catégorie d’entreprise n’a été oubliée : les grandes, les moyennes, et les petites entreprises, et même les micro entreprises ne sont pas en reste.
On peut ainsi noter qu’aucune des mesures prises n’excluent les PME. Qu’il s’agisse du remboursement des crédits de TVA qui concernent d’ailleurs plus les moyennes entreprises au regard des crédits qu’elles accumulent du fait du mécanisme de la retenue à la source ; qu’il s’agisse de la suspension des contrôles fiscaux ou du recouvrement forcé. Toutes ces mesures bénéficient au premier chef aux PME.
En plus, au rang des mesures prises, certaines visent spécifiquement cette catégorie d’entreprises. C’est le cas notamment de la suspension des impôts et taxes applicables au secteur du transport, de l’hôtellerie et des revendeurs de vivres ; c’est dire toute l’attention qui est accordée aux PME qui, en situation de crise, sont généralement les plus touchées.
Maintenant il est essentiel de souligner que de façon générale, notre système fiscal n’est pas basé sur des paiements forfaitaires et obligatoires. Il est conçu de sorte qu’on ne paie que lorsqu’on réalise une activité, un chiffre d’affaires. L’impôt étant assis sur des bases réelles et non forfaitaires, les entreprises qui, du fait de la crise, sont en cessation temporaire d’activité ou réalisent peu de chiffre d’affaires, n’auront rien ou pas grand-chose à payer.
Ces mesures fiscales sont-elles suffisantes pour permettre aux entreprises de faire face aux conséquences du Covid ?
En l’état actuel de la crise, elles me semblent largement à la hauteur. D’ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, nous discutons avec les autres administrations fiscales et les partenaires techniques qui traitent de la question de la fiscalité dans le cadre de cette crise. Je dois vous dire à cet égard que la quasi-totalité des Etats adoptent cette démarche de prudence au plan fiscal. Les facilités accordées dans la plupart des cas sont de nature administrative (suspension des contrôles fiscaux et du recouvrement forcé, etc.).
Les entreprises camerounaises ne sont donc pas du tout défavorisées à cet égard. Mieux, elles ont d’autres avantages exceptionnels par ailleurs. Tenez, les entreprises affectées par la crise peuvent également profiter de la mesure de transaction spéciale sur les arriérés fiscaux consacrée par la LF 2020 promulguée par le Chef de l’Etat. Il s’agit d’une importante mesure de soutien aux entreprises qui leur permet de bénéficier d’abattements substantiels sur leurs arriérés d’impôts. Ces abattements vont jusqu’à 75%. L’Etat a décidé ainsi de pratiquement effacer toutes les dettes fiscales des entreprises enregistrées jusqu’au 31 décembre 2018. Cette mesure est sans précédent. Toutefois, elle est limitée dans le temps. Je voudrais donc inviter les entreprises qui ont des dettes fiscales à saisir cette opportunité pour les apurer et ainsi assainir leur bilan ; ce qui leur permettrait d’accéder plus facilement aux financements dans le cadre de la relance de leurs activités après la crise. La démarche est toute simple : il suffit d’adresser une demande au Directeur général des impôts et une lettre de réponse indiquant les taux d’abattement déjà fixés par la loi est notifiée au contribuable.
Comment l’administration fiscale elle-même s’ajuste-t-elle pour pouvoir être toujours en mesure de faire son travail et faciliter la tâche aux contribuables ?
Les nombreuses réformes menées ces dernières années au sein de l’administration fiscale, qui pour la plupart avaient pour dénominateur commun les TIC, ont jusque-là permis à nos services de faire face aux situations de crise. Il en va de même de la crise sanitaire actuelle. Outre la télédéclaration et le télépaiement déjà opérationnels pour plusieurs procédures depuis plusieurs années, nous avons travaillé au lancement de nouveaux services en ligne accessibles aux contribuables à distance à partir de leurs bureaux ou domiciles sans effectuer le moindre déplacement physique. Il s’agit notamment de l’immatriculation fiscale, du contentieux fiscal et du remboursement des crédits de TVA qui sont tous désormais digitalisés.
Toutes ces mesures d’exonération fiscale vont causer un manque à gagner important dans les caisses de l’Etat. Comment comptez-vous redéployer pour renflouer les caisses autrement ?
La crise a nécessairement un impact sur la mobilisation des recettes dans la mesure où celles-ci sont tributaires de l’activité économique. Cet impact va donc largement au-delà du coût lié aux mesures de soutien pour intégrer les pertes de recettes correspondant à la baisse de l’activité.
Comme vous le savez, les recettes fiscales à mobiliser au cours d’une année donnée sont projetées sur la base des hypothèses.Pour l’exercice 2020, elles ont été fixées sur la base d’un taux de croissance du PIB réel de 4% et d’un déflateur du PIB de 1,4%, soit un taux de croissance du PIB nominal de 5,4%.On tablait également sur un cours de baril de pétrole de plus de 50 dollars. Au regard de ces paramètres macroéconomiques, un objectif de 2 103 milliards a été fixé à la DGI qui, comme vous le savez, est le 1er poste de mobilisation des recettes pour le budget de l’Etat.
Après un 1er trimestre au cours duquel la DGI a mobilisé au-delà des objectifs qui lui étaient assignés, avec 537 milliards mobilisés contre 463 milliards pour la même période en 2019, soit une progression de FCFA 74 milliards en valeur absolue et 16% en valeur relative, la crise sanitaire Covid-19 vient bouleverser toutes ces hypothèses : le taux de croissance devrait enregistrer une baisse importante et le baril de pétrole est en ce moment, comme vous le savez, en dessous de 30 dollars. Les prévisions de recettes devraient donc sous ce rapport connaitre des ajustements le moment venu.
Il faut cependant relever, comme je l’ai dit plus haut, que les réformes de modernisation de l’administration fiscale, menées avec l’appui constant des autorités au cours de ces dernières années, ont permis à notre système de collecte de faire preuve d’une forte capacité de résilience dans les moments de crise. Nous comptons donc sur les fondamentaux de cette résilience, à savoir le dispositif de sécurisation de nos recettes et de modernisation du recouvrement, pour préserver l’essentiel des ressources de l’Etat.
Steve Seke
Source Cameroon Tribune
Edition du 08 mai 2020