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Abbas Mahamat Tolli : « nous avons éloigné le spectre de la dévaluation du FCFA »

by EDC
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Le Gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) dresse le bilan de ses réalisations à la tête de cette institution financière sous régionale.

Comment se porte la BEAC aujourd’hui ?

La Banque Centrale se porte plutôt bien. Cela n’a pas toujours été le cas. En 2017, lorsque nous avons été nommés par la Conférence des chefs d’État à la tête de cette prestigieuse institution, notre communauté traversait une conjoncture économique très difficile. C’était depuis 2014, à la suite de la chute prononcée des coûts des matières premières, principalement le pétrole. Les économies de la Cemac ont été durement éprouvées par de faibles croissances économiques, qui ont eu un impact négatif sur les finances publiques des États membres, plus particulièrement sur la soutenabilité extérieure de la monnaie. 

Dès notre arrivée et suite au programme de réforme économique et financière, qui a été mis en place en 2016 à la suite de la Conférence convoquée par Son Excellence Paul Biya, Président de la République du Cameroun et Président en exercice de la Cemac, un programme de réforme portant sur cinq piliers a été adopté. Le pilier qui nous intéresse ici est celui de la question monétaire et financière. Nous avons mis en place à la Banque Centrale une stratégie qui intégrait un certain nombre d’actions parmi lesquelles des réformes qui visaient le cadre opérationnel de la politique monétaire, des réformes sur le système d’information, des réformes de gouvernance, des réformes sur nos politiques d’échange. Nous avons également procédé à des évolutions normatives pour stabiliser et renforcer le système financier de la Cemac, avec la réunification des marchés boursiers et la solidification de notre monnaie. Nous avons aussi renforcé, consolidé et inversé totalement la trajectoire de notre exploitation à la Banque Centrale. 

Aujourd’hui, toutes ces réformes ont porté leurs fruits. Maintenant en ce qui concerne l’état général de la Banque Centrale, l’une des résolutions les plus importantes de toutes, a été de veiller à la soutenabilité de notre monnaie sur le long terme, le tout en évitant un ajustement monétaire. Aujourd’hui, grâce à toutes ces réformes, aux efforts de l’ensemble des États membres, ainsi que l’appui de nos partenaires, nous avons éloigné le spectre de la dévaluation. Actuellement, on a un niveau de soutenabilité qui se traduit par la capacité de couverture de 4,5 mois d’importation des biens et services, avec des réserves de changes estimées à plus de 7000 milliards de FCFA , contrairement au niveau de performativité de 2016, où on était pratiquement à moins de la moitié de ce montant.

Nous avons également consacré le renforcement des rétrocessions à la Banque Centrale. En 2008, cela représentait un peu plus de 3000 milliards de FCFA rétrocessions. En 2022, nous avons terminé avec 12.000 milliards de FCFA de rétrocessions des devises à la Banque Centrale, grâce aux moyens de suivi, aux recrutements du personnel spécifique, à la mise en œuvre des procédures, ainsi que la discipline et la rigueur qui caractérisent nos agents économiques. Grâce à la réglementation des changes, nous sommes parvenus à renforcer notre politique de change, à assurer la soutenabilité extérieure de notre monnaie et à améliorer dans le même temps l’exploitation de la Banque et des finances publiques. 

Tout ceci contribue à la transparence des flux financiers sortants et entrants. La fiabilité de nos systèmes de financement et la stabilité de nos correspondances bancaires, par le respect des engagements auxquels nous avons souscrits, font partie de nos préoccupations les plus profondes. Aujourd’hui si vous transférez des ressources, vous devez justifier la source de ces revenus. Si vous êtes un investisseur étranger, et que vous rapatriez vos ressources issues de votre investissement, eh bien, donnez la certitude, la preuve que vous avez payé l’impôt. Donc, c’est ce que le monde entier applique aujourd’hui, pour éviter que les réseaux illicites n’envahissent nos régions et nos pays.

En ce qui concerne l’exploitation de la Banque, le déficit structurel était évalué à plus de 9 milliards à l’arrivée. En 2018, il représentait un peu plus de 14 milliards, 19,8 milliards à peu près de bénéfice en 2019. 30, 9 milliards pour 2020, et à peu près à 50 milliards de bénéfice en 2021. Nous sommes en train de clôturer notre comptabilité avec un résultat de 114 milliards pour 2022, ce qui a permis d’inverser considérablement la soutenabilité de notre exploitation. Des évolutions majeures sont également perceptibles dans le système financier avec notamment la réglementation de certaines micro finances, les textes sur les payements électroniques.

Nous avons établis, entre autres, un cadre juridique pour la finance islamique, et créé de nouvelles plateformes pour l’inter opérationnalité des paiements mobiles. Aujourd’hui, les citoyens de la Cemac peuvent envoyer et recevoir de l’argent, jusqu’à un maximum de 5.000.000 par jour, à partir de leurs téléphones portables. Donc, inutile de passer par des sociétés classiques  de transfert d’argent. La preuve d’une évolution majeure et de fluidité des transactions. 

Au titre des réformes des politiques monétaires, on est passé de 900 milliards à plus de 5300 milliards, ce qui a permis de renforcer de manière substantielle, la capacité des trésors publics, à lever des ressources et accroitre sur ces marchés l’investissement public. Nous avons également la fusion des structures des marchés boursiers de la Bvmac à Libreville, la Dsx à Douala, avec le régulateur de la Cosumaf. Aujourd’hui, on a un marché unique qui est avec une société de bourse à Douala, Bvmac avec le régulateur unique qui est la Cosumaf à Libreville, et le rôle de dépositaire central provisoirement assuré par la Banque.

Depuis cette fusion, nous avons commencé à partir de 2019, les actions visant à redynamiser les différentes structures des marchés, en passant par des plans d’affaires. Des études y ont été menées et des mesures concrètes, dégagées à la suite des audits qui sont en train d’être mis en place. À cet effet,  beaucoup d’efforts ont été mobilisés dans le cadre de la refonte de la réglementation au niveau de la Cosumaf, le recrutement des nouveaux dirigeants par voie de concours.

Depuis que le Dr. Louis Banga Ntolo, est le directeur général de la bourse, le niveau des cotations en bourse a augmenté de 300 %. On est notamment passé de trois sociétés cotées en bourse, à sept. 17 entreprises attendent leur introduction à la bourse. Je profite de l’occasion pour remercier les États qui ont bien voulu ouvrir le capital de leur société, des sociétés parapubliques et d’autres entités à la bourse. Les efforts sont en cours pour l’introduction de ces sociétés. Remarquons aussi les évolutions encourageantes du côté des compartiments obligataires. On est à une capitalisation avoisinant le milliard, et nous continuons nos actions pour parachever les introductions des sociétés en bourse, continuer à mobiliser les plateformes techniques de la société de bourse, et nous assurer également de ce que la bourse, en tant que société, reste solide dans son assise financière, se modernise davantage et apporte une alternative crédible et durable au financement bancaire théoriquement. 

 Comment êtes-vous parvenus à faire adhérer le patronat sous-régional à cette réglementation, quand on sait que son lancement avait provoqué la colère de ses responsables qui annonçaient des défauts de paiement de fournisseurs et des faillites généralisées ?

Ces réticences participent d’un phénomène normal de résistance aux changements. À chaque fois que le statu quo est bousculé, il est évident que vous fassiez face aux résistances parce que cela traduit un saut dans l’inconnu. Nous avons eu pas mal d’échanges  avec les acteurs économiques concernés par nos dispositifs de la réglementation de change, qu’il s’agisse des Chambres de commerce, des ministères concernés, les directions de trésors, bref, le système bancaire dans sa globalité. Des dispositions concernant le personnel diplomatique accrédité par la Cemac, et les entreprises extractives du secteur pétrolier et minier ont été prises. Plusieurs échanges ont été nécessaires pour mieux comprendre les problématiques spécifiques à ces différents secteurs, et nous enrichir dans le même temps. 

Je pense que ces échanges ont permis de recadrer un peu les choses en permettant à la banque centrale de mettre en place des directives. Globalement, nous avons à peu près une vingtaine de directives qui tiennent compte des aspects spécifiques qui concernent chacun des secteurs, et des circulaires aux intermédiaires qui sont les banques, pour leur spécifier un certain nombre de choses, lesquelles échanges ont permis aux différentes parties prenantes de s’approprier progressivement de cette réforme, si bien qu’aujourd’hui, les difficultés que nous avions eu au départ se sont résolues de manière considérable.

Par ailleurs, nous avons essayé d’obtenir des investissements d’archive, des plateformes techniques ont été acquises, nous avons été obligés de concevoir des applications spécifiques pour gérer l’ensemble des flux de transferts qui sont traités en ligne, et donner aussi la possibilité aux agents concernés de se connecter sur nos plateformes et de suivre le temps d’exécution des dossiers de transfert qui sont introduits ici. 

Cela nous permet également de concevoir les modules qui traitent les différents flux de transactions sortants ou entrants, et d’avoir les statistiques précises pour nos analyses. Enfin, nous avons des applications qui nous permettent de savoir les positions extérieures des banques, c’est une méthode pour contraindre les uns et les autres à se plier au règlement. Les changements ne sont pas vécus de la même façon. Il y en a qui n’aime pas ça. Sauf que, ça a beaucoup de vertus pour nos économies, avec des niveaux de rétrocession qui ont considérablement explosé. Ce qui garantit la stabilité, l’augmentation de la masse monétaire, l’accroissement des capacités de nos économies et l’assurance que les flux financiers qui circulent dans nos zones, proviennent des sources licites, qu’il y a une certaine traçabilité dans les mouvements des fonds.

D’aucuns vous reprochent d’avoir pris trop de mesures incitatives pour accompagner les banques commerciales pendant la pandémie de la Covid 19, qui à leur tour, n’ont pas toujours aidé les particuliers à résister eux-aussi à la crise financière. Si c’était à refaire, y aurait-il des changements dans votre approche ? Si oui, lesquels ?

La gestion de la pandémie à Coronavirus dans la zone Cemac  n’a pas seulement été l’affaire de la Banque Centrale. Il faut également souligner le rôle majeur qui était celui des États membres, qui avaient décidé de prendre certains mesures sanitaires, des mesures d’accompagnement en terme de production, des crédits d’impôts accordés, des gratuités, un certain nombre de services d’eau et d’électricité, et les dépenses au niveau des services publiques majeurs dans le secteur de la santé, avec l’appui des partenaires extérieurs, qui ont joué aussi un rôle majeur sur le plan social et économique.

En ce qui concerne la Banque Centrale, elle a également pris un certain nombre de mesures concernant notamment, la réduction de l’intervention des taux d’intérêt, pour éviter le crash de liquidité dans la crise économique, et de rassurer le système bancaire que la Banque Centrale sera prête à  intervenir autant de fois que possible. Nous avons décidé d’accroître le volume d’injection de liquidité de plus de 100 % dans le système bancaire, simplifié la gestion du collatéral et pris des mesures drastiques d’allègement au niveau du suivi des banques, pour permettre que les banques soient capables de continuer à accompagner les économies. Ainsi, on a de ce fait maintenu le système bancaire,  malgré les effets très dévastateurs de cette pandémie sur le plan économique. Nous avons tout fait pour demeurer résilients et continuer à soutenir le financement de nos économies avec les assurances et le dispositif mis en place par la Banque Centrale.

Sur des marchés secondaires, un programme de 600 milliards de FCFA a été mis en place pour acheter les souscriptions de titres publics auxquelles les banques avaient souscrites pour garder un portefeuille d’investissement pendant 10 ans, et accroitre les marchés pour les banques et continuer, encore à acheter les titres publics permettant ainsi aux États, d’accroitre des capacités d’intervenir pour soutenir les mesures sociales qu’elle avait mises en place, et continuer l’accompagnement des financements. Globalement, les subventions que les États ont mises en place, ont permis de juguler des effets sur la cherté des denrées de première nécessité, avec l’expansion de la liquidité, qui a permis de traverser une période difficile avec moins de dégâts sur le plan social. 

 Il est évident que, le fait que la liquidité soit disponible, c’était également dans l’intérêt des agents économiques de la sous-région qui ne pouvaient pas avoir une rupture de liquidité de leur épargne, mais sur les taux directeur qu’il fallait peut-être penser à une baisse pour qu’il y ait un crédit un peu moins cher, pour soutenir cette consommation de la sous-région qui était éprouvée par la pandémie ?

Au sortir de la pandémie, nous avons constaté que l’inflation continuait à monter, l’inflation importée continuait à sévir. Et s’il faut toujours avoir les politiques d’assouplissement, cela implique un niveau d’inflation qui va s’accroitre par le biais de la politique monétaire. On a injecté beaucoup de liquidité dans le système avec l’inflation importée, l’inflation étant en quelque sorte une perte du pouvoir d’achat pour les citoyens. C’est autrement plus nocif que d’avoir un niveau d’intérêt plus élevé. Les banques centrales ont des instruments pour juguler ça : le volume d’injection de liquidité dans le système, la hausse du taux d’intérêt pour assurer l’injection de la liquidité dans le système. C’est ce que font les banques centrales dans le monde. 

Maintenant, concernant la question du taux d’intérêt, il faut dire ici que nous sommes à 4,5 %. Regardez un peu le spectre, à quels taux les banques prêtent aux citoyens. Les meilleurs clients qui arrivent à lever les financements sont à 8% à peu près, pour les particuliers, c’est beaucoup plus que ça. Ce que nous faisons, c’est d’interdire un taux, au-delà duquel c’est de l’usure. On oblige les banques à publier les conditions d’épargne.

C’est quelque chose qui est suivie par l’ensemble des directions de la Banque centrale. Quand vous voyez les bilans des banques, les gens qui prennent du crédit, dans la plupart des cas, ne remboursent pas. Donc au-delà des problématiques liées à la gestion de la politique monétaire, il y a aussi ce phénomène qui a beaucoup à voir avec le comportement des gens, mais aussi avec la façon dont les banques elles-mêmes, apprécient le risque des contreparties, et dans des cas pareils, nous conseillons aux banques d’évaluer les risques de contreparties, au moment d’entrer en relation avec un client potentiel, au moment de la mise en place du concours. La réponse de la Banque Centrale, c’est de mettre en place des informations pour s’assurer de la crédibilité des clients.

 Nous sortons de la pandémie à Coronavirus pour aborder les crises géopolitiques mondiales, notamment avec la guerre en Ukraine qui est venue faire pression sur les finances des entreprises de la sous-région avec les coûts d’importation qui ont explosé. D’aucuns estiment qu’avec la baisse de ces tensions, il est temps de baisser ces taux directeurs, afin qu’il y ait une augmentation de la masse monétaire et permettre que les ménages puissent continuer à s’endetter, et les entreprises aussi, afin de renforcer leur croissance. Que répondez-vous ?

Aujourd’hui, si vous voyez à la fois les taux d’intérêt directeurs de la Banque Centrale et les taux d’inflation, nous sommes dans la zone où ces taux sont les plus bas de toutes les régions. Ils ont été augmentés à un moment pour la sortie de crise que nous avons connue avec toutes les mesures que nous avons mises en place. C’est maintenant que nous ressentons les effets sur l’inflation.

 Le plus dur est passé certes, mais on est toujours confronté à un niveau d’inflation plus élevé qui fait perdre le pouvoir d’achat aux citoyens. Et maintenant, le niveau d’augmentation des taux permet de juguler ce niveau d’inflation et de le ramener plus bas, afin de permette aux gens de conserver le pouvoir d’achat. L’inflation c’est une forme de dévaluation de la monnaie et de perte de pouvoir pour des citoyens de la zone qui utilisent cette monnaie. Donc, elle est plus dommageable pour les consommateurs que 4% des taux d’intérêt directeurs. Maintenant, s’il faut réduire ou plus tard, cela dépendra de la lecture que la Banque centrale va avoir de la conjoncture de façon globale. Nous examinons l’évolution de notre conjoncture économique de manière très régulière et en cas de besoin, nous convoquons le comité exécutif monétaire, pour apprécier l’évolution de la situation sur le plan Cemac, et aussi sur le plan international, et décider le cas échéant, d’un ajustement des conditions au niveau de la Banque Centrale.

Source : Fortune Afrique

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